Intelligence Artificielle & Islam

L’un des malheurs, si ce n’est le principal frein de l’Islam contemporain, en particulier sunnite, est d’arriver toujours après l’innovation.

Il est frappant et saisissant de constater que les sujets novateurs ne sont pas l’apanage des religieux contemporains. Pourtant, ce lien entre spirituel (dine) et temporel (dunya) est le trait différenciant de l’Islam par rapport aux atres religions.

En effet, l’Islam étant la suite de toutes les religions, pour ne pas dire tout simplement leur continuité, il est le lien entre Créateur et création. Notre libre arbitre nous permet de nous écarter volontairement, à notre propre risque et péril, de cet équilibre qui nous est rappelé à travers les messages successivement délivrés par les prophètes, du premier d’entre eux au dernier envoyé à l’Humanité.

Ce message est donc, en plus d’un guide pour renforcer notre lien avec Allah, un manuel de (sur)vie dans un écosystème créé par Lui. Aini, nous avons dans le dernier message non modifié par les Hommes, à savoir le Coran, un Guide qui nous permet de dissocier ce qui nous est néfaste de ce qui ne l’est pas. Toute volonté de contrôler autrement qu’en se réferrant à ce Guide serait un effort qui ss’avèrerait vain, sur le court, moyen, ou long terme.


Toutefois, ce n’est pas un appel à l’inaction et à la passivité, bien au contraire. C’est un appel à l’apprentissage constant par la théorie et la pratique, afin de préserver cet équilibre, dont nous sommes garants sur Terre en tant que “Khalifa” (Coran 2:30) ; c’est la raison même évoquée par Allah lorsqu’il présente Sa création aux anges.

Nous avons donc le devoir de ne pas juger avec nos perceptions issues de notre statut de création, avec nos sentiments réduits à notre expérience et notre individualité, mais plutôt en se réferrant à une ligne de conduite plus générale, plus englobante de ce qu’est la Création dans son ensemble. C’est un sujet d’une importance extrême et qui pourtant est de nos jours très peu compris, appliqué, ou transmis.

La nouveauté, un danger ?

    Avec l’époque contemporaine et la période d’après-guerre qui a vu le califat ottoman perdre de son rayonnement religieux, d’autres acteurs se sont imposés comme étant les référents en matière de préceptes et de pensée musulmane. Ainsi sont apparus des mouvements modernes qui ont opté pour des principes religieux basés sur des fondements correspondants à leur vision du Monde, et par extension, de la Nouveauté, comme nous allons le voir.

    Profitant, à dessein ou par simple opportunité, du déclin de la voix de l’Empire Ottoman et du Hanafisme, forme très libérale de la jurisprudence musulmane, ces acteurs ont pu mettre en avant d’autres courants de pensée, en particulier Hanbalites (voire Dhahirites) et Shafiites dans une moindre mesure.

    Je m’attarderais sur le premier, car il est devenu, par la force des choses et des volontés de prédication, un mouvement majoritaire alors qu’il restait minoritaire dans la pensée musulmane avant la période contemporaine.

    L’essor de l’impression et des maisons d’édition dans une partie du Monde oriental a permis de remettre au devant de la scène des préceptes issus de la tradition dite “Atahrite”, à savoir au plus près des écrits religieux, les hadiths en tête. Il est important à ce stade de noter que la difficulté d’utiliser cette école en tant que religion d’état en a fait avec le temps une école minoritaire isolée dans le Nejd, actuelle Arabie.

    Difficulté qui s’explique par plusieurs choses, mais j’en aborderai ici deux principales car elles ont un lien avec notre sujet :

    1. Un nombre de sources exhorbitant

    Premièrement, une école aussi attachée au texte sans laisser trop de place à la raison, devient de plus en plus complexe avec le temps et l’abondance d’écrits et d’avis accumulés au fil des siècles. Ce qui en fait une école dite “de la preuve” qui n’est pas canonisée, donc disparate.

    Il est donc difficile de s’inspirer de règles intemporelles et de principes basés sur la réflexion pour faire société, car la place qui lui est laissée est trop petite. Beaucoup de changements arrivent avec les siècles, et de nombreux écrits semblent déconnectés de la réalité quotidienne des musulmans.

    Il est alors évident que les réponses se trouvent dans des procédés édictés dès les premiers temps de l’Islam par des religieux qui ont connu des situations similaires. Ce fut le cas de Abou Hanifa, qui vécut en Irak, dans une société multiculturelle, contrairement au microcosme de la Mecque et de Medine qui est resté très preservé de toute nouveauté étrangère et n’a donc pas pu développer un Islam multiculturel.

    Il est resté orineté sur la préservation de ce qui existait : la Tradition.

    2. Un principe trop précautionneux

    Ce qui nous amène à notre second point. Parmi les méthodes de préservation qui ont été mises en place dans la pensée que je résumerais à pensée “du Najd”, il existe de nombreux piliers indiscutables. Le plus emblématique est le principe de “Sad Adh-Dharai'” autrement dit, fermer toute porte à la nouveauté qui pourrait amener à un mal ou à une perversion du Message originel.

    Ce principe, que je ne détaillerai pas ici mais qui est inspiré de sources réelles, a pris une autre tournure avec le temps.

    Dans une société en pleine mutation, avec un Occident perçu comme la cause de tous les maux, de la colonisation et de la fin du califat, il est devenu très facile d’emprunter ce principe et de déduire que tout ce qui venait comme nouveauté d’ailleurs (entendre “d’Occident”) était un danger pour la religiosité de la communauté dans son ensemble. Donc, de ce fait, interdit.

    C’est ainsi qu’aux travers des années, tout ce qui était nouveau est passé par trois étapes : interdiction formelle, puis attrait fort de la population pour cet interdit, puis enfin adoption de fait dans les us et coutumes ; mais adoption toujours tardive et non maîtrisée.

    Ce fut le cas pour le café, puis la télévision, puis le dessin et la représentation d’êtres animés, bandes dessinées et autres, ou encore les cryptomonnaies pour citer une chose plus contemporaine. Tous sont passés par cette première étape d’interdiction formelle au nom du principe de préservation, pour finir par être adoptés et donc légiférés par des savants qui cèdent devant la force des choses, le sens de l’Histoire.

    L’IA, un cas différent ?

      Toutes les nations qui ont passé ce cap de la modernité dans son sens le plus rationnel, c’est-à-dire l’ère des moyens modernes de production, ont réussi une chose qui est la condition sine qua non de la survie de l’espèce humaine : s’adapter. En ce qui nous concerne ici, cela signifie faire un lien entre identité religieuse et spirituelle d’une part, et nouveauté, ou encore modernité d’autre part.

      J’attire l’attention que cela est possible avec toute nouveauté.

      Prenon l’exemple des disciplines orientales qui innondent nos sociétés occidentales : arts martiaux, yoga, méditation, pour ne citer qu’eux. Ils nous mettent face à un choix d’apparence simple mais qui peut déconcerter le musulman lorsqu’il aborde ces nouvelles disciplines : de quel ressort relèvent-elles ?

      Car si elles relèvent du ressort religieux, elles sont par définition interdites car synonymes d’acte d’adoration. Or, ceux-ci sont sont canonisés et immuables. Par contre, si ce sont de simples disciplines exemptes de toute spiritualité contraire aux préceptes de l’Islam, elles sont autorisées par nature. C’est précisément sur ce choix que s’articule le principe du rejet de la nouveauté par peur de l’égarement, que j’ai cité plus haut.

      Parmi mes enseignats en science religieuse, l’un d’entre m’a glissé une parole qui m’a fortement imprégné : “Ce qu’il faut aux musulmans aujourd’hui, c’est reveir au courant de pensée hanafite, car il est celui qui permet le plus de s’adapter à nos sociétés modernes.”

      C’est exactement cette vision qui a motivé l’écriture de cet article : abandonner la peur pour faire place à la confiance en Allah et en Sa guidée lorsque nous découvrons des nouveautés. Tout comme notre Prophète lui-même l’a fait lorsqu’il a découvert des systèmes avancés de siège lors d’une conquête et qu’il les a adopté.

      S’adapter, c’est ce que fait conctament l’être humain, en tout temps et en tout lieu. Une religion qui ne nous permettrait pas de le faire serait-elle une religion pertinente ? Je suis persuadé du contraire, tout autant que je suis persuadé que l’Islam est la continuité des religions monothésites et qu’elle est la Vérité absolue. Une religion comme celle-ci ne devrait-elle pas être au service de notre épanouissement ?

      1. Une opportunité d’évolution

      Ce principe est si important que plus la nouveauté sera impactante, et plus il sera mis à l’épreuve. Il reste encore aisé d’être musulman sans boire de café si on est convaincus de son illégalité, religieusement parlant. Pour les images, c’est encore faisable, sous peine de vivre reclus et privés de beaucoup de choses, ce qui n’est pas recommandé par l’Islam, bien au contraire. Nous sommes une communaté “sortie vers les gens” c’est-à-dire au devant des gens, “afin d’ordonner le convenable et d’interdire le blamâble.” (Coran 3:110)

      J’en reviens alors à notre rôle sur Terre évoqué plus haut. Comment pourrait-on rester actifs dans nos sociétés pour y inciter au bien si notre seule réponse est l’interdiction à toute nouveauté ? Est-il raisonnable de penser que nous ne pouvons pas nous placer avec Foi et Raison, force et conviction, sur le devenir de notre communauté ? Ne serait-ce pas un aveu d’échec en soi…?

      La réfléxion ne peut être évitée lorsqu’on en arrive à des innovations qui n’attendent pas notre prise de consience et qui bouleversent nos société, musulmans et non-musulmans compris. L’IA n’est pas du café, du dessin ou toute autre technologie de seconde classe. Elle fait irruption dans nos vies avec fracas. Elle s’entraîne sur des données existantes, desquelles nous avons choisi d’être absents. Elle prend de l’ampleur et fait déjà partie de nos vies.

      2. Un choix d’avenir

      C’est un changement qui va s’opérer et dans lequel nous devons prendre part. Fuir encore une fois face à nos responsabilités en interdisant ou en ayant peur, en abandonnant toute confiance en Allah, ne nous mènera encore une fois que vers un nouveau cycle d’adoption tardive et non maîtrisé de cette technologie. Qui peut aujourd’hui interdire l’IA ou contrôler son essor ? La réponse est simple : personne.

      Ce que nous pouvons par contre contrôler, comme à chaque fois, c’est ce que nous en ferons et quelle part nous allons prendre dans son évolution. Cela nous donnera aussi le ton de quelle sera notre propre évolution.

      Il est évident que, comme ce fut le cas pour Internet, l’IA va changer nos sociétés, détruire des emplois, en créer des nouveaux, mais pas uniquement. En rendant la productivité plus accessible, elle permettra de délester l’Humain, tout comme le fait la robotisation, des tâches à moindre valeur ajoutée. Après la société industrielle, la société de service a permis d’aboutir à une société qui laissera plus de champs à l’Humain. Ou pas, en fonction de nos choix.

      Et ça fait peur. Car aucun d’entre nous n’y est habitué. Personne n’a les réponses.

      Il devient de plus en plus évident qu’il y a deux camps très distincts : ceux qui tentent d’adopter ces nouveautés et ceux qui en ont peur. Ce sont ces deux modes de pensée qui se retrouvent dans les deux visions évoquées ici. Force est donc de constater que cette attitude n’est pas exclusivement réservée aux religieux, mais à chacun d’entre nous et à la relation qu’il a avec l’avenir ; d’aucuns seront optimistes, les autres pessimistes.


      En conclusion, c’est comme en toute chose : nul ne peut dire ce qui arrivera, mais tous autant que nous sommes, restons responsables de nos choix. Faire face au Monde “avec Force”, comme ce fut demandé aux Prophètes (Coran 19:12), revient à prendre ses responsabilités et à prendre des décisions en assumant leurs conséquences. Face à la nouveauté, il est nécessaire d’avoir une solide Foi ancrée en soi.

      Cette Foi permet de rapidement s’attaquer à un sujet avec conviction, et à taire les bruits et les freins du monde. Cette Foi repose sur des principes essentiels qu’il est crucial d’ancrer dans sa personnalité pour, au delà de s’adapter, impacter son environnement et participer à le modeler dnas la bonne direction, celle qui nous est désignée dans ses grands principes, par le Livre d’Allah.

      Puissions-nous participer à créer le Monde de demain dans lequel nous laisserons nos enfants, notre responsabilité. Amine.

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