Dureté et laxisme en Islam

Nous l’avons tous vécue. Cette expérience de se retrouver face à un autre musulman (ou musulmane) qui nous juge.

Qui nous juge avec tellement d’assurance qu’on en vient à douter, face à lui, emporté par notre envie de se montrer compréhensif et d’être dans une position d’apprenant, de chercheur de vérité.

Notre sincérité nous trahi.

Mais nous avons aussi vécu, en tant que croyants, l’incompréhension face à des choix faits par une autre personne. Qu’elle soit croyante ou non. Des choses qui parfois sont bénines, d’autres fois intolérables voire innacceptables.

Sommes-nous alors en train de juger à notre tour…?

Cette complexité et cette dualité nous accompagnent dans tous les instants de notre vie. Nous tentons de répondre à deux injonctions internes, toutes deux liées et exprimées par cette voix intérieure qui nous chuchotte : “Ne juge pas autrui !”

Comment pourrais-je juger les autres alors que je ne sais quelle sera ma fin ? Comment puis-je me permettre de juger autrui alors que je n’ai aucune certitude d’être mieux guidé que lui (ou elle) ? Comment pourrais-je affirmer des choses avec autant de fermeté à l’encontre de mon frère ou de ma soeur en humanité alors que je suis un être si imparfait et que je le sais mieux que quiconque ?

Pourtant, cette frilosité à jeter un jugement sur autrui vole en éclat lorsqu’elle est brisée par un évènement qui nous touche et nous révolte.

C’est l’origine de la colère aveugle.

Et dans ce cas, on devient un tyran qui va éxercer avec toute la violence dont il peut faire preuve, la sentance dictée par son courroux.

C’est là la vengeance.

Mais cette frilosité revient lorsque nous sommes pris dans une situation que nous ne maîtrisons pas. Lorsque nous sommes enjoint par le groupe à ne pas réagir pour na pas faire de vegues, pour ne pas paraître “bizarre”.

Lorsque notre biais cognitif qui nous crie de toutes ses forces de ne pas aller à l’encontre du groupe par peur du rejet social.

C’est là un visage de notre faiblesse.

L’injustice est tapie au fond de chacun de nous, et il est illusoire de penser que nous pouvons être justes en tout temps. Seul notre Créateur l’est. Il est “Al ‘Adl” litt. La Justice. Toute entière.

Seul Lui peut nous donner les clefs pour être justes en toute occasion. Pour pouvoir fixer les limites sans laisser arriver notre courroux. Mais aussi pour nous permettre de rester dans cet équilibre apaisé entre haine et naïveté.

Lorsqu’un tel évènement arrive, il nous laisse passer outre nos saines prédispositions et notre raison. Alors, nous sommes mis à l’épreuve. Nous sommes testés et nous le savons. Nous le sentons au plus profond de nous.

C’est ici que la différence se fera entre les individus. Certains se réfèreront à leur éducation, d’autre à conception propre de leur vertu, d’autres à celle que nous a transmis le Coran. Tous auront un référentiel propre.

Ce qui nous mène au questionnement suivant : comment s’assurer d’avoir le bon ? Et par extension, comment se préparer à le faire passer avant les autres dans des situations qui nous éprouvent émotionnellement ?

La dureté

    C’est l’attitude la plus défensive.

    Quelqu’un d’agressif n’est qu’une personne en souffrance. En souffrance car elle n’est pas assurée de sa position.

    Les personnes le splus sûres d’elles-mêmes ne sont-elles pas justement celles qui objectivement ont le moins d’information sur un sujet donné ? Celles qui sont le moins guidées par la raison et la conaissance ?

    Cette véhémence d’ailleurs trouve son terrain d’expression dans des sujets qui ne sont pas des sujets hautement intellectuels ou d’importance vitale. Ce comportement d’étroitesse d’esprit ne se retrouve que dans des sujets accessibles à ce type d’esprits, on trouvera donc très peu ces formes de jugement dans les questions sociétales, psychologiques, économiques, scientifiques, etc.

    On y trouvera plutôt une ouverture d’esprit et une aptitude à l’apprentissage et à l’écoute de l’autre.

    La meilleure réponse est celle contenue dans l’expression “Les gens faibles se vengent. Les gens forts pardonnent. Les gens intelligents ignorent.” C’est ce à quoi Allah et son prophète nous enjoignent lorsqu’ils nous donnent comme conseil utlime de ne pas donner libre cours à sa colère.

    Ce verset reste explicite en la matière (sens du verset) :

    Les serviteurs du Tout-Miséricordieux sont ceux qui marchent sur la terre avec humilité et qui, lorsque les ignorants s’adressent à eux, disent : « Paix (Salâm) » [25:63]

    Mais comment ignorer une chose qui nous prend d’assaut ? Comment ne pas répondre à une personne qui nous explique que nous sommes dans le faux, et qui nous fait douter ? Comment ne pas répondre, et laisser croire que cette parole soit vraie ? Ne doit-on pas faire triompher la parole véridique sur la parole de fausseté ?

    Ce sont ces questions qui viennent à nous dans ce type de situation, et Allah nous y a répondu dans ce même verset. Il y évoque les personne qui sont littéralement les personnes “serviteurs du Tout-Miséricordieux” ; celles qui se soumettent à Sa miséricorde.

    Allah n’a pas choisi ce nom parmi Ses 99 Noms et Attributs au hasard.

    C’est faire alors preuve de miséricorde que de répondre de manière noble avec une parole bienveillante, à l’ignorant qui cherche autre chose que cette miséricorde entre les croyants.

    Cette compréhension ne peut venir qu’avec une seule chose : l’apprentissage. Cette certitude ne peut se renforcer qu’avec une seule chose : le savoir.

    Cette science qu’est la science religieuse doit être comprise de manière profonde, enracinée dans l’individu, afin qu’elle ne fasse qu’un avec lui. De telle sorte que l’absence de réponse ne l’impacte aucunement. Que les paroles aggressives ne l’éffleurent pas le moins du monde. Qu’il marche de manière assurée.

    Lorsqu’il nous est difficile de répondre, lorsqu’il ne nous est pas laissé l’opportunité de faire preuve de miséricorde dans le discours, c’est que ce dernier n’en est pas un. Il est une agression, dans un sens ou dans l’autre. Que je sois l’agressé, ou que je sois l’aggresseur.

    Cette forme de communication ne sert que l’ego, car elle n’amène à rien de concret. Il ne ressort de ce discours que deux personnes qui ont cherché à ses prouver à elles-mêmes leur position, car elles n’en étaient pas assurées. L’autre n’aura rien entendu, rien appris, rien tiré de cet échange tourné vers soi.

    Enfin, il est plus que jamais nécessaire de se tourner vers Allah et Son agrément plutôt que vers celui des autres.

    C’est d’ailleurs l’un des enseignements que nous offre la sagesse, et on le perçoit au contact des personnes agées. Elles n’ont d’autre but que la rencontre de l’au-delà, et leurs paroles sont empreintes de sagesse car elles ne sont pas tournées vers nous, mais vers la Source de leur existence.

    Malheureusement, c’est l’un des enseignements humains le moins valorisé dans les sociétés contemporaines, que celui des anciens. Mais cela ferait l’objet d’un article à part entière…

    Le laxisme

    C’est la solution de l’effacement, la solution de la facilité et de l’invisibilation de soi pour fuir le conflit.

    Mais elle implique que ce détachement soit fait sans conscience, car cela peut être fait à dessein. En effet, Allah dit :

    Et lorsque tu rencontres ceux qui pataugent et polémiquent au sujet de nos versets alors détourne toi d’eux jusqu’à ce qu’ils entament une autre discussion. Et si le diable vient à te faire oublier alors ne t’assois plus avec les gens injustes après que le rappel te soit parvenu.” [6:67]

    Il est donc essentiel de différencier l’effacement, du détournement d’une chose malsaine.

    Le premier se fait en silence, le second peut se faire avec éclat et bruit.

    Montrer son désaccord et ne pas participer à des actes néfastes est une action en soi. Le fait de quitter une assemblée ou une société avec conviction afin de se différencier et de ne pas prendre part à des actes blamâbles que ses membres feraient, est une forme d’adoration.

    Car en se détournant du Mal, on se rapproche du Bien, et donc de son Seigneur.

    Je fais plutôt ici référence à l’absence d’acte lorsqu’on est dans une situation qui est mauvaise, que l’on est face à une parole qui est néfaste.

    Cette apathie est justifiée trop souvent par le fameux “qui suis-je pour juger” ; c’est là un piège qui peut nous pousser à rester en compagnie de personnes qui nous tireront vers le bas, loin d’Allah. En leur trouvant des excuses dans chacun de leurs actes, à défaut de les légitimer, nous les banalisons.

    Le prophète d’Allah, que la Paix et les Bénédictions soient sur lui, a dit :

    Par celui qui détient mon âme dans Sa main ! Cette communauté ne périra que lorsque l’homme ira vers la femme et l’étendra sur le chemin. Le meilleur d’entre eux ce jour là sera celui qui dira : « si au moins tu la cachais derrière ce mur! »

    Je rouve cette parole explicite et tellement d’actualité !

    La meilleure chose à faire n’est-elle pas de condamner le blamâble ? N’est-ce pas la raison pour laquelle Allah nous a créé, une communauté “qui incite au convenable et condamne le blamâble” ? Pourquoi, dans ce cas, avoir honte de dire la vérité, sans violence ni laxisme ?

    Il est alors évident que, face à ces épreuves, c’est notre propre incitation qui nous paralyse. Qui nous incite à faire le mauvais choix ; Allah dit, au sujet de la femme qui mit Youssef à l’épreuve (sens du verset) :

    Et je ne m’innocente cependant pas, car l’âme est très incitatrice au mal, à moins que mon Seigneur, par miséricorde [ne la préserve du péché]. Mon Seigneur est certes Pardonneur et très Miséricordieux. [12:63]

    Nous sommes enjoints par notre Créateur en personne, d’inciter les gens à faire le Bien universellement connu : le convenable. Nous sommes enjoints par Celui qui nous connaît mieux que personnes à condamner, par l’acte de se détourner ou par la parole bienveillante et noble qui sied aux croyants, les actes universellement mauvais : le blâmable.

    J’attire toutefois l’attention, pour conclure sur ce sujet, sur un aspect extrêment important et tout autant mal compris de nos jours.

    Il s’agit de la capacité individuelle et de la place qu’Allah nous a attribuée dans la société et sur Terre. Ainsi que le rôle propre, attribué à chacun d’entre nous, à la heuteur de nos moyens.

    Notre responsabilité s’arrête à ce niveau, et nous ne sommes nés que pour porter la charge qui nous incombe.

    Trop souvent, on se sent responsables de choses qui nous dépassent et cela peut nous mener à des pertes de temps et d’énergie, ou à l’inverse à de la dépression et de l’apathie avec des pertes de repères.

    Or, Allah n’impose pas à une âme plus que ce qu’elle est en mesure de supporter.

    Ce principe est essentiel car il nous invite à la juste mesure dans cette position déjà elle-même sage de juste mileu, de juste équilibre.

    Un juge pourra juger et prendre la responsabilité de punir une personne pour un acte blâmable. Un officier pourra user de la force pour interpeller un individu violent. La personne victime d’injustice n’a pas la possibilité de parler sans craindre pour sa vie. Chacun est dans une posture différente, et cette posture est essentielle pour définir sa responsabilité face à l’acte ou la parole néfaste.

    L’absence de sagesse serait de ne pas prendre cela en compte et de faire usage de la force pour asseoir une opinion lors d’une discussion, ou alors de s’obliger à réagir par la parole au dépit de la sécurité de sa personne et des personnes dont on a la charge.

    La sagesse, dit-on, est de savoir ce qui doit être dit ou non, dans telle situation ou telle autre.

    Cet apprentissage n’est-il pas celui de l’expérience de la vie…?

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